II
L’Unité de Contact Générale Substance Grise était sur le point d’opérer la jonction avec le Véhicule Système Général Service Couchettes. Pour l’occasion, l’UCG avait rassemblé son petit groupe de passagers dans un salon ; l’un des drones asservis du vaisseau, réduit à son squelette, se joignit à eux tandis qu’ils contemplaient sur un écran mural une vue de l’hyperespace. L’UCG allait à sa vitesse maximale, lancée sous l’écheveau à un peu plus de quarante kilolums dans une course de moins en moins incurvée à présent presque identique à celle du gros vaisseau qui l’approchait par la poupe.
— La manœuvre va demander un arrêt total des moteurs et un Déplacement sous synchronisation, fit le petit cube de composants qu’était le drone. Pendant quelques instants, aucun de nous ne sera totalement sous mon contrôle.
Genar-Hofoen essayait de trouver une remarque mordante à lui lancer lorsque le drone Churt Lyne le prit de vitesse.
— Il n’a pas l’intention de ralentir pour vous, hein ?
— Exact, répliqua le drone asservi.
— Le voilà, dit Ulver Seich.
Elle était assise sur un canapé, les jambes croisées sous elle en tailleur, en train de déguster une infusion délicatement parfumée dans une tasse en porcelaine. Un petit point apparut derrière eux dans la représentation de l’espace ; il se ruait dans leur direction et grossissait rapidement. Il prit bientôt la forme d’un gros ovoïde brillant qui se précipitait silencieusement sous eux ; la vue bascula rapidement pour pouvoir le suivre, accomplissant une demi-torsion pour le garder correctement aligné. Genar-Hofoen, qui se tenait debout à côté de l’endroit où Ulver était assise, dut agripper le dossier du canapé pour ne pas tomber. En cet instant, il ressentit une sorte de déperdition titanesque et enveloppante, faisant penser à un rassemblement de vastes énergies confinées, libérées, contenues, transférées et manipulées ; des forces inimaginables étaient invoquées, apparemment à partir du néant, pour se tordre autour d’eux de manière éphémère, regagner le néant et quitter la réalité en demeurant, du point de vue de ceux qui se trouvaient à bord de Substance Grise, pratiquement inchangées.
Ulver Seich laissa échapper un grognement d’impatience tandis qu’une partie de son infusion se déversait dans sa soucoupe.
L’angle de vue avait changé. Ils contemplaient à présent une étendue bleu-gris aux contours courbes évoquant une soupière de nuages vue de l’intérieur. Cela pivota de nouveau, et ils firent brusquement face à une série de larges marches comme celles qui donnaient accès à un temple ancien. Les marches plates conduisaient à une entrée rectangulaire bordée de petites lumières ; au-delà, une zone d’un noir d’encre était piquetée d’autres lumières, encore plus faibles. La perspective recula pour révéler une série d’autres entrées disposées côte à côte, toutes les autres demeurant fermées. Au-dessus et au-dessous d’elles, logées dans les contremarches, il y avait d’autres portes, plus petites et toutes également closes.
— C’est gagné, fit le drone asservi.
La vue était encore en train de changer tandis que le vaisseau était lentement attiré à reculons vers la seule baie d’entrée ouverte. Genar-Hofoen fronça les sourcils.
— Nous allons à l’intérieur ? demanda-t-il au drone.
Ce dernier pivota pour lui faire face, se figeant juste assez longtemps pour que l’humain ait l’impression d’être traité comme une sorte de crétin congénital.
— Mais oui, dit-il en articulant lentement, comme on s’adresserait à un enfant un peu retardé.
— Je croyais que…
— Bienvenue à bord de Service Couchettes, fit une voix derrière eux.
Ils se tournèrent pour voir une créature osseuse, de haute taille, vêtue de noir, qui s’avançait vers le centre du salon.
— Je m’appelle Amorphia, leur dit-elle.